Interview
Éric Piolle : "Avec Capitale verte, on parle d’engouement et de projets concrets"

©Sylvain Frappat
Ça y est, Grenoble est Capitale Verte, comment abordez-vous cette année ?
Avec enthousiasme et responsabilité. C’est un moment unique dans notre histoire, un tournant qui ouvre des horizons, un peu comme les JO de 1968 en leur temps : c’est un rendez-vous qui façonne notre ville et rassemble les Grenoblois-es autour des défis à relever.
Le samedi 15 janvier, se tient la cérémonie d’ouverture. Nous avons voulu un temps convivial, populaire et familial (sous réserve de modifications en raison de la crise sanitaire, NDLR).
Au-delà des célébrations, 2022 sera résolument tournée vers l’avenir. L’enjeu n’est pas de fêter notre titre pendant un an, mais de se servir de cette reconnaissance pour aller plus loin, plus vite et engager les transitions pour 2030, avec la justice sociale et climatique au cœur.
Les forces vives du territoire répondent présent ?
Capitale verte, c’est plus de 300 partenaires, associations, entreprises petites ou grandes, collectivités… qui ont dit «OK, on va s’impliquer pour aller plus loin avec nos salarié-es, pour changer nos pratiques et renforcer nos actions concrètes au service du climat».
On parle d’un engouement et de projets concrets. Un exemple parmi tant d’autres : le don d’arbres que la Ville met en place, c’est un projet simple avec un résultat visible. La Métropole, le Département et l’État se sont tout de suite engagés à nos côtés.
Les entreprises se sont prises au jeu, pour aller vers de l’alimentation bio et locale, végétaliser ou isoler leurs bâtiments, faire évoluer leurs pratiques. GEG devrait arriver à produire une électricité 100% verte, 0% nucléaire et 0% fossile, pour couvrir les besoins des Grenoblois-es.
Les associations, notamment culturelles et sportives, joueront un rôle crucial. Elles sont un maillon essentiel en lien avec les habitant-es. Un «coup de pouce vert» a permis de dégager des financements publics pour les accompagner. Nous avons reçu quatre fois plus de demandes que le budget disponible ! Au-delà des choix à faire, c’est bon signe : le territoire se mobilise.
Mais Capitale Verte est un projet avant tout citoyen, au service des habitant-es afin de se projeter dès maintenant vers la ville de 2030. Comment mieux vivre, comment réduire les inégalités tout en préservant le climat.
Comment mettre en œuvre cela ?
Nous sommes aujourd’hui face à une injustice majeure : le climat se dérègle, les plus modestes sont les premiers exposés alors que ce sont les plus riches qui en sont responsables. Rappelons que les 10% les plus riches de la planète émettent 50% des gaz à effet de serre et que les 1% les plus fortunés polluent près de deux fois plus que les 50% les plus pauvres !
C’est révoltant car partout les premières victimes des inondations, des canicules, des sécheresses ou de la pollution, ceux qui cumulent les violences et stigmatisations, sont les plus pauvres. Ni la France, ni notre territoire n’échappent à cette tendance.
L’exemple du logement est frappant. Les plus modestes font souvent face à des logements exigus et mal isolés. Cela entraîne des factures importantes l’hiver et des chaleurs fortes l’été. Ces logements sont souvent proches des axes polluants qui participent en plus à la mauvaise qualité de l’air intérieur.
Lutter contre la précarité énergétique, c’est soulager les fins de mois des ménages les plus modestes et prendre soin de l’environnement. Le logement, c’est la première facture des Grenoblois-es. C’est un levier essentiel.
Comment allez-vous changer les choses ?
La priorité du gouvernement est de faciliter la vie des plus riches au détriment des plus modestes. Avec Capitale verte, nous voulons que chacune contribue au bien commun à hauteur de ses moyens, que chacun-e se sente concerné par les défis à venir, que chacun devienne acteur du changement.
Voilà pourquoi d’ici 2030, les crédits seront largement fléchés sur ces quartiers où les inégalités se cumulent et où vit près d’un tiers des Grenoblois-es. Par exemple, pour améliorer le cadre de vie et proposer des lieux de fraîcheur l’été, nous portons le projet d’un lac baignable à la Villeneuve.

©Sylvain Frappat
Un autre exemple est celui de l’aménagement de «la Prairie» dans le quartier Mistral. Ce chantier aura un coût équivalent à celui de la place Victor-Hugo. Car chaque Grenoblois-e a le droit à la même qualité de ville.
Avec le projet GrandAlpe-Villeneuve, ce sont plusieurs centaines de millions d’euros qui sont investis, pour donner naissance au premier écoquartier populaire. C’est sans doute l’un des chantiers les plus importants des 50 dernières années. L’investissement sur les quartiers prioritaires sera le choix fort de ce mandat.
Avec Capitale Verte, nous souhaitons travailler sur les convergences entre le pouvoir de vivre et la sauvegarde du climat.
C’est-à-dire ?
Aujourd’hui quand on enlève de la fiche de paye les frais de déplacements, de logement, d’énergie et d’alimentation, il ne reste souvent plus grand-chose pour une majorité de français. Et c’est très inégalitaire.
Ces dépenses «contraintes» pèsent beaucoup plus lourd sur les plus modestes. Or dans le même temps, ce sont aussi sur les déplacements, le logement, l’énergie et l’alimentation que nous devons absolument agir pour réduire notre impact sur le climat.
Que comptez-vous faire ?
Sur le logement nous allons avec la Métropole accentuer notre action pour rénover les logements vieillissants. Pour réduire la facture énergétique et financière. Rien que sur l’Arlequin, nous rénovons au moins 1 600 logements. Notamment des copropriétés dégradées.
Sur les déplacements, la priorité, c’est de réduire la facture liée à l’automobile et en profiter pour améliorer notre air et le climat. La voiture coûte en moyenne 5 000 € par an aux ménages, achat compris.
Nous devons déployer l’autopartage partout et surtout dans les quartiers populaires. Ça divise la facture par deux. La zone à faible émission qui sera mise en œuvre devra intégrer ces notions d’accompagnement des plus précaires. C’est le message que nous portons au sein de la Métropole.
Et bien sûr faire honneur à notre titre de capitale française du vélo. Avec des cours d’apprentissage pour toutes et tous. Ils ont été multipliés par 5 au cours des cinq dernières années. Avec aussi une desserte des quartiers prioritaires en axes cyclables sécurisés.

©Auriane Poillet
Les études ont débuté pour connecter Mistral à Catane, demain à la Presqu’île. Idem sur l’avenue Jean-Perrot pour relier Teisseire à Chavant. Enfin, ça sera sans doute un peu plus lointain, mais nous voulons relier le centre de Grenoble et Échirolles, en desservant la Villeneuve et le Village Olympique. Chaque espace de la ville doit être accessible de manière sécurisée en moins de quinze minutes.
Et sur l’alimentation ?
L’année Capitale Verte doit permettre de mieux manger. Pour tout le monde. La part de bio et/ou local dans nos cantines avoisine les 60% et les 100% dans nos crèches gérées par le CCAS. Là aussi, manger bio en payant son repas en fonction des revenus de sa famille, c’est une mesure de justice sociale et climatique. Nous allons poursuivre en ce sens.
Une étude est lancée cette année pour bâtir une stratégie sur l’agriculture urbaine avec l’optique d’augmenter la capacité productive de la ville et de permettre l’accès à une alimentation durable et locale dans chaque quartier. Une alimentation végétarienne aussi, car c’est bon pour le climat et la condition animale.
Nous sommes aujourd’hui à près de deux repas végétariens par semaine dans nos cantines et nous allons poursuivre dans cette voie.
Au-delà du pouvoir d’achat, comment mieux vivre aujourd’hui à Grenoble ?
2022 est l’année Capitale Verte mais aussi celle de l’accentuation des effets de la pandémie. La crise sanitaire est amenée à durer. Comme pour un séisme, il y a des répliques : la crise économique et la crise sociale sont là, et bien là. Nous devons donc redoubler de solidarité. En agissant sur les sécurités du quotidien : sociales, sanitaires, alimentaires, physiques, matérielles.
La subvention de la Ville au CCAS a été augmentée de 8% cette année, soit 1,50 M€ en plus pour accompagner les publics précaires, la petite enfance et nos ainé-es. Un enjeu majeur sera aussi la lutte contre l’isolement : nous vivons une épidémie de solitude et cela a déjà des conséquences dramatiques sur notre santé mentale.
Une campagne pour préserver et protéger la santé mentale des habitant-es va être lancée en 2022. La santé doit être associée à la solidarité car les inégalités de santé sont criantes.
Nous continuons à nous mobiliser, à travers notre service de santé comme avec nos partenaires dont l’AGECSA que nous soutenons à un niveau important pour son action dans les quartiers populaires.

©Auriane Poillet
Comment travaillez-vous avec les acteurs locaux pour bâtir cette capitale verte ?
Le partenariat est l’une des clés pour garantir les solidarités. Il faut renforcer les échanges entre les acteurs, associatifs, culturels, sportifs, économiques, la communauté scientifique, les habitant-es. Nous fêterons, dans un an, les 40 ans du rapport qu’Hubert Dubedout alors Maire de Grenoble, avait remis au Premier Ministre pour améliorer la vie dans les quartiers.
Je vous invite à le relire, il est visionnaire et posait déjà les enjeux il y a 40 ans. Il met le partenariat et l’échange au cœur du processus pour améliorer la vie. La lisibilité aussi pour les habitants et usagers face à un monde qui se complexifiait déjà… Nous devons faciliter cela, fluidifier, clarifier la relation avec la Métropole.
La proximité est plus que jamais à mettre tout en haut des priorités. C’est un axe de progrès, nous en sommes conscients. C’est en ce sens que j’ai nommé 6 Maires adjoints, dans chaque secteur de la ville pour être au plus proche des préoccupations du quotidien.
La ville et la Métropole ne peuvent pas tout faire. Quelles mesures concrètes défendez-vous auprès de l’État ?
L’État est un partenaire sur de nombreux projets, comme Capitale Verte, mais au niveau central, il peut aussi être un frein. Trois mesures permettraient d’améliorer rapidement la qualité de vie dans nos quartiers.
La régulation du cannabis d’abord. Les points de deal sont une plaie pour les habitant-es. Il faut casser ce système et arrêter le laxisme d’État. Je plaide pour un encadrement et une régulation par l’État de la vente. C’est ce qui se dessine en Allemagne, c’est ce que se fait déjà ailleurs. Cela ne résoudrait pas tout mais il est certain que la situation actuelle serait nettement améliorée pour les habitant-es.
Deuxième mesure : le retour des contrats aidés. Cela permet de faire vivre de nombreuses associations, d’embaucher les personnes qui peinent à trouver un emploi, de retisser les liens sociaux. Enfin, les bailleurs sociaux doivent retrouver de l’air, leurs finances ont été asséchées. Ils doivent pouvoir rénover les logements, améliorer l’entretien, assurer de la présence humaine dans les immeubles, construire en matériaux locaux. Pour cela ils ont besoin de moyens. L’État doit réaffirmer une politique forte en la matière.
De manière plus structurelle nous avons besoin de plus de décentralisation dans notre pays pour accélérer la transition. Cela nécessite plus de capacités d’actions et plus de moyens pour les territoires. Ils sont les mieux placés pour agir très concrètement au service du climat et de la vie quotidienne, sur l’isolation des logements, les déplacements, l’alimentation, la santé ou l’énergie.
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