François Pompanon est professeur à l’Université Grenoble Alpes et chercheur au sein du Laboratoire d’écologie alpine qu’il a dirigé de 2016 à 2020. Il est l’un des conseillers scientifiques de Grenoble Capitale Verte de l’Europe.
©Sylvain Frappat
En quoi consiste votre mission au sein du Laboratoire d’écologie alpine de l’UGA ?
Je travaille en biologie évolutive, sur des questions se rapportant aux origines de la biodiversité, aux mécanismes qui permettent cette diversité et aux conditions d’adaptation du vivant.
Une problématique qui m’anime en particulier est de savoir comment les animaux domestiques ont évolué d’un point de vue génétique sous l’influence des contraintes imposées par les humains. L’idée consiste à savoir ce qui s’est passé pour mieux prédire ce qui va se passer, notamment dans le cadre du réchauffement climatique.
On a pu démontrer par exemple que différentes races de chèvres du Maroc ont développé des systèmes d’adaptation à la chaleur au sein de leur métabolisme. Telle race de chèvre régule sa température par la transpiration, telle autre par des phénomènes de respiration…
Quelles conclusions tirez-vous de ces études ?
Tout n’est pas perdu si on préserve le potentiel d’adaptation des espèces et si on sait maintenir les conditions de leur évolution. Et ceci passe par la préservation des espèces et la protection de la diversité locale. On peut y parvenir créant les flux nécessaires au brassage génétique entre populations, avec les trames bleues et vertes par exemple, qui permettent aux animaux de passer d’un territoire à un autre.
Il faut aussi lutter contre les effectifs trop faibles. Combattre l’effet «Allee» : en dessous d’un certain seuil, les populations entrent dans un vortex d’extinction. Pour différentes raisons. Les animaux ont par exemple besoin d’un certain niveau de coopération au sein d’un même groupe.
Regardez les suricates : quand ils sont suffisamment nombreux, ils s’organisent. À tour de rôle, ils peuvent fouir le sol à la recherche de leur nourriture ou faire la sentinelle, alertant les autres d’un éventuel prédateur. Si la taille du groupe est trop faible, ils ont moins de temps pour se nourrir ou faire le guet et deviennent alors plus vulnérables.
Les suricates, ce n’est pas un animal de chez nous…
C’est la même chose avec nos marmottes ! La biodiversité, ce n’est pas que les ours blancs ou les tigres. C’est aussi à l’échelle locale que ça se passe. Il y a énormément d’organismes qui jouent un rôle très important dans le fonctionnement de nos écosystèmes. Leur équilibre repose sur des interactions très complexes entre les êtres vivants.
Il faut imaginer la biodiversité comme une Tour Eiffel en allumettes. Chaque espèce est une allumette. Si on en retire une, l’édifice va tenir, mais au fur et à mesure qu’on les enlève, la tour se fragilise de plus en plus. Et brusquement, tout s’écroule.
Heureusement, on a détecté un certain niveau de redondance fonctionnelle. Une espèce peut boucher un trou laissé vacant, par exemple en exploitant un peu différemment le milieu ou en se dispersant.
Aussi, chez nous dans les Alpes, des espèces voient leur aire de distribution changer avec le réchauffement et occuper de nouveaux espaces, à condition que ceux-ci soient préservés.
C’est ce que vous avez observé ?
Le Laboratoire d’écologie alpine mène actuellement une expérience d’«Alpage volant» au col du Lautaret. Des parcelles d’alpage du col du Galibier, situé 600 mètres de dénivelé plus haut, y ont été transplantées pour mimer le réchauffement et étudier l’adaptation des communautés d’espèces : plantes, insectes, mais aussi micro-organismes tels que champignons et bactéries sont scrutés de près.
Inversement, des morceaux de prairie sont remontés de 600 mètres pour observer la réaction des êtres vivants à ce changement. Le projet, qui s’étend sur dix ans, mobilise des dizaines de chercheurs, doctorants et post-doctorants.
Vous allez aussi participer, dans le cadre de Grenoble Capitale Verte de l’Europe 2022, à une journée d’action le 14 avril. Quels sont les messages que vous souhaitez faire passer à cette occasion ?
Que la biodiversité est l’affaire de toutes et tous. Que sa sauvegarde est essentielle à la survie de l’espèce humaine. Les services rendus par la Nature et les écosystèmes sont inestimables, de l’alimentation au tourisme, en passant par la filière bois, l’eau potable, etc.
Protéger la biodiversité passe par une meilleure connaissance et un travail en commun, avec les associations naturalistes, les chercheurs, les gestionnaires, les aménageurs, les entreprises et les habitant-es eux-mêmes, grâce à des outils adaptés.
La question de la biodiversité doit être transversale à chaque projet et nous amener pour cela à changer notre regard et modifier nos pratiques. Et préférer par exemple maintenir les conditions de la résilience des écosystèmes plutôt que de favoriser le rendement à court terme.
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